Blockchain : « Il faut garder à l’esprit que l’objectif principal d’une blockchain est la distribution décentralisée »

Blockchain : « Il faut garder à l’esprit que l’objectif principal d’une blockchain est la distribution décentralisée »

Tendance, la technologie de la chaîne de blocs ne doit pas faire oublier aux entreprises que, comme toute nouvelle technologie, elle est loin d’être mature, qu’elle n’est pas prête pour une utilisation généralisée, qu’elle doit s’appuyer sur un projet concret mais surtout qu’elle doit venir en complément des services déjà proposés par les entreprises. La blockchain offre donc un large champ de possibles si elle est utilisée à bon escient. Tour d’horizon avec Antoine Deblonde, Data Scientist, membre du club Blockchain NOVENCIA Group.

 

La blockchain représente-elle un vrai avantage pour les entreprises ?

Tout dépend de la nature de l’entreprise et de son business model. À performances égales, la blockchain nécessite plus de ressources que des systèmes de bases de données classiques. Elle ne présente donc pas une grande utilité pour toutes les activités informatiques « concentrées » des entreprises. Tant que l’on parle de données à faible volumétrie ou bien ne nécessitant pas d’être distribuées ou répliquées partout sur la planète, la blockchain n’a pas de réel intérêt.

Son intérêt devient manifeste dès qu’il s’agit de gérer un très grand nombre de répliques ou de se passer d’une autorité centrale, ce qui peut être le cas d’une monnaie, comme le bitcoin. En fait, elle représente un énorme avantage dès qu’il faut collecter de la donnée auprès d’un très grand nombre de sources, et la redistribuer vers autant de consommateurs : elle peut ainsi servir à collecter des droits d’auteur, à certifier des diplômes, à lister des produits d’occasion, etc.

 

Comment intégrer une ou des blockchains dans un système d’information ?

Une blockchain est fondamentalement une méthode pour disposer de plusieurs répliques cohérentes d’une base de données sans passer par une autorité centrale de synchronisation. La majorité des blockchains actuelles reposent sur deux types d’ordinateurs. D’une part, les serveurs stockant les répliques de la base de données. D’autre part les machines de validation, ou « mineurs » selon la terminologie de la majorité des blockchains, qui se chargent de valider des lots de transactions selon différents procédés généralement gourmands en puissance de calcul. Ces deux types de machines peuvent être séparées, physiquement ou logiquement, ou réunies.

La gestion des serveurs de réplique est à peu de choses près la même que pour les précédents systèmes de bases de données : on accède aux bases via des interfaces graphiques, éventuellement servies sur des machines tierces, ou via des API, etc., de la même manière qu’on accéderait à des serveurs de bases de données SQL Server, Oracle, MongoDB, HDFS ou autres.

Il faut cependant garder à l’esprit que l’objectif principal d’une blockchain est justement la distribution décentralisée, et que ce résultat est obtenu aux dépends d’autres critères comme l’espace de stockage et la vitesse d’accès aux données. Aussi les serveurs de réplique devront-ils disposer de logiciels adaptés pour servir les données de leur blockchain.

La gestion des mineurs est différente : il s’agit de machines ayant de fortes capacités de calcul, généralement dédiées à cette tâche et regroupées dans des fermes de calcul. On trouve des similarités avec la gestion d’autres tâches gourmandes en puissance de calcul (supercalculateurs, fermes de rendu graphique ou de réseaux de neurones).

Une blockchain peut donc être gérée d’une façon proche de celles de nombreuses fonctionnalités déjà présentes dans les systèmes d’information, à la différence près qu’elle nécessitera très certainement plus de ressources à performances équivalentes.

Mais gérer une blockchain de manière « classique » serait gâcher son principal atout, qui est justement sa facilité à la distribution : pour en tirer tout le potentiel, il faut plutôt s’inspirer des architectures IT de type « grid », qui consistent à rassembler une grande puissance informatique en reliant de très nombreuses machines de puissances moyennes ou faibles dispersées géographiquement, via des protocoles de communication coopératifs. Là, la blockchain trouve tout son intérêt, en proposant précisément ce genre de protocole coopératif à moindre frais !

 

 « Le travail d’intermédiation peut être réalisé à moindre coût par les blockchains. »

 

Est-ce que les nouveaux services et les applications basées sur la blockchain peuvent compléter et élargir les modèles de revenus existants ?

Oui, tout simplement en rendant possible l’accès à des informations impossibles à collecter autrement. Par exemple, plusieurs projets de blockchains sont en cours de développement pour la collecte des droits d’auteur. Savoir précisément quels morceaux de musique ont été entendus par qui, à quel moment, à quelle fréquence, était une tâche quasi impossible jusque récemment. Avec la blockchain, collecter toutes ces informations en quasi-temps réel, tout en rémunérant les artistes tout aussi rapidement, devient envisageable. Alors qu’auparavant, pour compléter les statistiques des sites de streaming, il fallait parfois se contenter de sondages. On observe là un élargissement du modèle des sociétés de gestion des droits d’autres.

La vraie difficulté est plutôt la suivante : les modèles de revenus existants sont-ils prêts à se mettre à la page plutôt que de réclamer à corps et à cris la régulation des blockchains pour empêcher l’émergence de concurrents, rendue également plus facile par cette technologie ?

 

Dans le cadre du GDPR, la blockchain pourrait-elle devenir un atout dans la protection des données personnelles ?

Oui complètement… À condition que ces données ne soient pas présentes dans la blockchain elle-même ! Concrètement, beaucoup de blockchain, à commencer par l’Ethereum, disposent de mécanismes de scripts qui permettent d’automatiser des contrats de tout type et de toute taille. Rien n’empêche de construire des contrats qui accordent ou suppriment l’accès à des données personnelles d’un grand nombre d’acteurs en fonction de la collecte d’accords, de validation. Mais il est grandement préférable de stocker les données personnelles ailleurs, pour éviter d’en voir une myriade de copie partout sur la planète via une blockchain ! Même si elles sont initialement cryptées, c’est toujours une pratique dangereuse.

 

On prédit que les termes « blockchainer » et « tokeniser » vont rapidement remplacer « uberiser », quel est votre sentiment et concrètement qu’est ce que cela veut dire ?

L’uberisation désigne un processus économique où un nouvel acteur, une plate-forme web, permettait de mettre en relation les consommateurs et les producteurs effectifs d’un service, par exemple les passagers et les chauffeurs de taxis, à un coût bien moindre que les opérateurs historiques, centrales de taxis ou autres. C’est donc un processus de désintermédiation rendu possible par la technologie.

L’uberisation, encore en cours, consiste donc à remplacer une couche physique de bureaucratie d’entreprise par un service IT, moins cher et moins massif… mais néanmoins existant.

La blockchain, avec ses « tokens », permet d’aller plus loin encore dans la désintermédiation. Pour tous les modèles d’affaires avec beaucoup de clients et beaucoup de producteurs, on est précisément dans un cas où la décentralisation des données ferait baisser les coûts, car le –relativement léger- surcoût d’une base de données blockchain par rapport à une base classique, est plus qu’amorti par le fait de se passer d’une lourde infrastructure IT avec hordes d’informaticiens et surtout captation de valeur ajoutée par l’entreprise d’intermédiation !

La « blockchainisation » va donc consister à supprimer encore une couche d’intermédiaires entre producteurs et consommateurs, le travail d’intermédiation pouvant être réalisé à moindre coût par les blockchains.

 

« Ce qui va changer pour les poids lourds du web 2.0, c’est que le ticket d’entrée pour proposer des services concurrents sera très bon marché avec les blockchains, et ne nécessitera plus des investissements énormes »

 

Du coup, on peut se poser la question si la blockchain ne serait pas l’outil parfait pour ubériser Uber, AirBnB, blablacar ou encore booking ?

Oui… et non. La blockchain fait encore baisser le coût de mise en relation client-producteur, élimine le besoin d’un intermédiaire, et donc peut potentiellement éliminer ces entreprises. Mais ces entreprises proposent aussi autre chose que de la simple intermédiation : elles proposent aussi des garanties financières et juridiques, des interfaces utilisateurs agréables et pratiques, de la curation, etc. Toutes choses que la blockchain peut éventuellement faciliter mais ne propose pas en tant que tel.

Ce qui va changer pour les poids lourds du web 2.0, c’est que le ticket d’entrée pour proposer des services concurrents sera très bon marché avec les blockchains, et ne nécessitera plus des investissements énormes destinés à se composer une masse initiale de clients. D’où un surcroît de concurrence, toujours bénéfique pour le consommateur final.

 

Si la « blockchainerisation » est la prochaine révolution, comment aider les entreprises dans cette transformation ?

En changeant de culture d’entreprise : avec la blockchain l’intermédiation devient très peu coûteuse et très concurrentielle. Par contre, la blockchain n’assure pas tous les services annexes que je viens d’évoquer. Les entreprises doivent apprendre à se développer en proposant des services variés dont les consommateurs ont envie, pas en essayant de bâtir un nouveau monopole géant avec une « app’ » magique. Cela remet en cause le business model de beaucoup de start-up…

 

Enfin, le développement des blockchain est un acte profondément politique, peut-on arriver à une situation ou « code is law » ? Nos structures sont-elles prêtes ?

Cela dépend fortement des pays et des cultures. Dans les sociétés « bottom-up », avec une forte culture de l’autonomie et de l’organisation spontanée des individus, « code is law » est déjà pratiqué, ou bien le sera facilement. Chaque blockchain devient un projet collectif en tant que tel, reposant sur l’adhésion volontaire. Dans les sociétés plus « top-down », avec un plus fort respect des hiérarchies et un sens de l’autonomie moins poussé, les blockchains entreront en concurrence avec les autorités traditionnelles, administrations, corporations ou autres, et l’on peut s’attendre à des conflits.

L’évolution de ces conflits dépendra de la nature et de l’évolution d’Internet : avec un Internet suffisamment distribué comme c’est encore relativement le cas en Occident, réguler les blockchains est chose quasi-impossible, car il sera toujours possible d’héberger les flux d’information dans des pays « ouverts » ou peu surveillés. Mais avec un Internet centralisé, à l’image de ce qui existe déjà dans certains pays peu soucieux de libertés civiles, et que réclament de nombreux législateurs dans les pays occidentaux sous des prétextes divers, ce contrôle devient tout à fait envisageable…

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